Jusqu’au 2 octobre prochain, le Centre tchèque de Prague expose les photographies de Jiri Jiru qui fut le photographe officiel de l’ancien président tchèque Václav Havel entre 1993 et 2000. Jiri Jiru s’est exilé en Belgique en 1968 et c’est un peu par hasard qu’il s’est retrouvé à sillonner la République tchèque et le monde aux côtés de l’ancien président-dramaturge, captant les moments officiels ou plus intimes de sa présidence. Radio Prague a rencontré Jiri Jiru lors de son passage à Prague.
Jiri Jiru, bonjour. Vous avez le photographe officiel de Václav Havel entre 1993 et l’an 2000. Comment devient-on photographe officiel du premier président tchèque post-communiste ?
« C’est une question à laquelle je ne peux pas répondre car je me demande toujours moi-même comment j’ai atterri au Château de Prague pour devenir photographe officiel du président Havel. Je crois que c’est le destin en quelque sorte. Je ne connaissais pas Václav Havel, juste de nom, je n’avais pas de contact avec lui. Ce qui est intéressant, c’est que quand le roi Beaudoin de Belgique est décédé, Václav Havel a aussi été invité aux funérailles. Par hasard, j’ai rencontré quelqu’un de son entourage et je lui ai demandé s’il avait quelqu’un qui était photographe officiel de Havel. Il m’a répondu que ce n’était pas nécessaire, ce qui m’a beaucoup étonné. Et puis on m’a proposé ce boulot, alors j’ai déménagé de Belgique où je vivais depuis
1968 comme réfugié politique. »
C’est en effet le destin, comme vous le dites : partir de son pays d’origine où l’on est considéré comme un criminel et y revenir comme photographe officiel du président…
« Oui, c’est assez drôle… »
C’est intéressant de voir dans cette exposition que la première photographie est un cliché de Václav Havel qui ne date de pas de la période de sa présidence, mais de 1968 où il est plus jeune, où il porte une cravate et est élégamment habillé. Dans quelles circonstances cette photographie a-t-elle été prise ?
« C’était juste avant que je ne parte du pays. Je travaillais comme photographe pour un journal et on m’a envoyé faire un petit reportage.
Il fallait que je prenne en photo un certain M. Havel, peu connu en dehors des cercles intellectuels. On m’a envoyé au théâtre Na zábradli où il travaillait. Je crois qu’il y donnait une interview. Il était là, assis, tout jeune, avec deux paquets de cigarettes devant lui et un verre de vin. C’est la première fois que je le voyais, j’ai pris ma photo. Et une vingtaine d’années plus tard, je me suis dit au moment de la révolution : ‘Mon dieu, je le connais !’ J’ai cherché dans les archives et j’ai trouvé cette photo de lui tout jeune. »
En tant que photographe officiel de Václav Havel, quel travail vous attendait ? Quelle était un peu votre journée type ?
« Le problème c’est que j’étais tout seul pour ce travail. Quand vous comparez avec la Maison Blanche, il y a trois ou quatre photographes attitrés, parce qu’une seule personne ne peut pas suivre autant d’activités. Je recevais donc tous les jours son programme pour le lendemain et je choisissais par hasard les choses qui me semblaient intéressantes pour les archives. Parce qu’en fait je créais des archives photographiques pour le pays. Il y a d’ailleurs toujours 3000 négatifs qui sont au Château de Prague, qui sont numérisés et les gens peuvent utiliser ces photos pour des choses non-commerciales bien sûr. »
Parmi les nombreuses photos présentées au Centre tchèque, il y en a une célèbre, où l’on voit l’écrivain tchèque Bohumil Hrabal, Václav Havel et l’ancien président américain Bill Clinton. Ils sont tous les trois à la brasserie U Tygra (Au Tigre) que fréquentait Hrabal. Comment cette photo a-t-elle était prise ?
« C’était la première visite officielle de Bill Clinton à Prague.
Evidemment, l’équipe de Havel était un peu comme des étudiants : ils ont essayé d’organiser cette rencontre, mais très vite ce sont les services de sécurité américains qui ont pris les choses en main et tout organisé. On est allés à pied du Château de Prague jusqu’à la brasserie, par le pont Charles. Evidemment, la brasserie était hermétiquement fermée au public. Les gens qui étaient assis, à table, à l’intérieur, avait été triés sur le volet. La présence de Hrabal était soi-disant un hasard, mais en réalité c’était organisé… »
En tant que photographe, Václav Havel était-il un sujet facile à photographier ?
« Václav Havel était très difficile à photographier. Pour les photographes, ce n’est vraiment pas un cadeau. Il regardait beaucoup vers le bas. Même quand il avait un interlocuteur, il baissait le regard, car c’était sa façon de réfléchir. Mais moi, pour prendre une photo, j’ai besoin du regard. Parfois, cela durait longtemps avant qu’il ne regarde son vis-à-vis. Ce n’était pas vraiment évident. »
Vous utilisez une technique un peu particulière pour vos photos qui s’appelle ‘hint-tint’. De quoi s’agit-il ?
« C’est en anglais évidemment… A partir d’un négatif couleur, j’agrandissais des photos en noir et blanc, puis je les mettais dans un bain sépia et ensuite je coloriais avec un petit pinceau quelques détails de la photographie. Ce n’est donc ni noir et blanc, ni couleur, ni un tableau ni une photo. C’est quelque chose d’un peu bizarre, d’un peu surréaliste… »
C’est votre regard sur cette présidence un peu hors norme dans l’histoire…
« J’ai photographié beaucoup d’hommes politiques dans ma carrière, mais je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme Václav Havel, un président aussi humain, humaniste, qui parlait aux gens ordinaires. Il était capable de faire des pas de danse avec des danseuses de samba brésiliennes, ou de faire pareil sur l’Ile de Pâques, le ventre à l’air ! C’était un personnage vraiment inhabituel. »
J’imagine que les photographes ont souvent des petites anecdotes liées à leurs photos. Quelles sont les vôtres ?
« Pour moi, chaque photo est une histoire où j’étais présent. On ne me voit pas, mais je suis toujours là, derrière l’objectif. On ne pense pas souvent au photographe qui prend la photo. Il y a une photo drôle où le président a dans la main un petit boîtier pour éclairer ou éteindre le Château de Prague. Il avait reçu cela des Rolling Stones !
Et voilà 500 personnes qui regardent le président qui joue avec l’éclairage de la Salle espagnole ! A New York, il a rendu visite au président Kissinger dans son appartement. Kissinger vient me voir et me dit : ‘Faites ce que vous voulez, mais ne faites pas de photos des tableaux que j’ai au mur, car ils sont très chers !’ »
Et il y a une photographie avec Bernard Pivot !
« Oui. Il était venu faire une interview au Château. En Tchéquie il était pratiquement inconnu. J’ai trouvé rigolo que M. Pivot soit là et qu’à côté de lui se trouve le président qui se faisait coiffer, avec une serviette autour du cou… »
Vous travaillez essentiellement en argentique. Quel est selon vous l’avenir de l’argentique avec l’avènement du numérique ?
« Je ne suis pas un grand amateur de numérique. Pour moi, c’est vraiment un monde nouveau. A mon avis, la photographie comme telle a reçu un grand coup. Il y a encore quelques personnes qui font des photographies en argentique : quand on appuie le bouton, ça coûte quelque chose donc on a bien réfléchi avant de le faire.
Malheureusement avec le numérique, je le vois quotidiennement, on met la fonction qui permet de faire vingt photos en une fois, et le travail photographique se fait devant l’ordinateur et non pas en chambre noire.
On a 5 000 photos et on doit en choisir une ! C’est comme ça que fonctionne le journalisme à l’heure actuelle. »
Est-ce que cette exposition va voyager à travers le monde, dans les Centres tchèques ?
« Je l’espère, car je trouve que c’est une exposition qui devrait surtout être présentée à l’étranger. Václav Havel a beaucoup d’admirateurs en Occident. Ce serait vraiment dommage que cette exposition reste dans les cartons. »